2022, l’année du virage et de la prise de conscience

Depuis cet été, le monde et les Français en particulier, semblent avoir pris la pleine mesure du dérèglement climatique. Ils ont été touchés massivement dans leur chair par les incendies d’Aquitaine ou des Monts d’Arrée qu’on pensait ne jamais voir brûler, ou bien encore par l’extrême violence de la tempête de Corse. Enfin, nos corps et nos cœurs ont été atteint émotionnellement par le dérèglement climatique !
C’est pendant cet été singulier que l’IAE de Poitiers a souhaité passer le pas pour sensibiliser enseignants, chercheurs, personnels, ainsi que la promo de Master GRH avec l’outil de la Fresque du Climat.
Il s’agit d’un jeu créé par Cédric Ringenbach en 2015, alors enseignant sur les problématiques énergie-climat à Centrale, Sciences Po, HEC et directeur du think tank le Shift Project.

La Fresque du Climat : un jeu surprenant et ludique

Organiser sur une demi-journée, le jeu de la Fresque du Climat se base sur l’intelligence collective du groupe pour relier les 42 cartes du jeu des causes aux conséquences. Cette approche ludique connaît un engouement de plus en plus marqué dans l’enseignement, mais aussi dans les entreprises. L’ensemble des données présentes sur les cartes sont issues des rapports du GIEC. L’atelier se joue par table de 5 à 7 joueurs en quatre séquences successives : reconstitution de la fresque des causes aux conséquences pour comprendre les liens ; cohésion et appropriation de la fresque en utilisant le dessin et la créativité des participants ; tour des émotions pour accueillir le ressenti de chacun ; et enfin, partage et projection vers des pistes d’action. En trois heures, les participants ont ainsi une vision plus éclairée et systémique du changement climatique et appréhendent beaucoup mieux les multiples imbrications entre les causes et les impacts.

La recette de son succès : l’approche tête – cœur – jambes, une alchimie qui fonctionne

Faire comprendre dans notre chair tout l’enjeu du dérèglement climatique, voilà l’objet du jeu de la Fresque du Climat car pour agir, il faut d’abord comprendre.
Ce jeu touche nos esprits, en nous mettant face aux ordres de grandeurs, aux données scientifiques réelles et à la complexité du sujet climat. Il prend soin de nos cœurs et de nos émotions pour accueillir le ressenti personnel de chacun. Il permet de comprendre que le sujet climat est un changement de paradigme et que la sociologie et les sciences humaines seront des atouts fondamentaux pour « faire société » vers le monde de demain. Enfin, il mobilise nos corps, met nos jambes en mouvement par l’implication active des joueurs et la recherche de pistes de solutions concrètes pour passer à l’action.

L’association de la Fresque du Climat a vu le jour en 2018 et sa croissance est exponentielle. De 30 000 personnes formées en mars 2020, ce sont déjà plus de 500 000 en août 2022. L’objectif est d’atteindre un million d’ici fin 2022. Et comme tous les 5 mois, le nombre de bénévoles et de participants double, l’association est sur la bonne voie. Plus il y a d’animateurs, plus il y a de participants, plus il y aura de personnes sensibilisées.

Les 2 et 6 septembre, l’IAE de Poitiers a contribué à sensibiliser près de 60 étudiants et enseignants. Le challenge de l’IAE sera pour la rentrée 2023, le défi consistera à organiser une grande Rentrée Climat permettant de sensibiliser massivement les élèves et enseignants de l’IAE de Poitiers.

Le climat et l’enseignement supérieur, quel avenir ?

2022 est à n’en pas douter, un tournant dans le domaine de l’enseignement supérieur vis-à-vis de la formation aux changements climatiques. En effet, cette année a vu trois tournants majeurs :

  • En février 2022, Jean Jouzel, éminent paléoclimatologue français, a remis son rapport à la ministre de l’Enseignement supérieur, Frédérique Vidal. Sa proposition : former 100% des étudiants de bac+2 à la transition écologique d’ici cinq ans. Son message principal : « Faire en sorte que chacun dispose des connaissances et des compétences à même de lui permettre d’agir pour la transition écologique en tant que citoyen et en tant que professionnel. »
  • 2022, c’est aussi l’année de tous les records d’étudiants qui expriment leur inquiétude lors de la remise des diplômes de Polytech, Sciences Po à AgroParisTech. La remise des diplômes est devenue politique comme le souligne très bien le média Novétic dans son article du 27 juin 2022. Les étudiants attendent davantage dans l’engagement écologique des organismes de formation. Quatre ans après la publication du Manifeste du collectif d’étudiants Pour Un Réveil Ecologique, la sensibilisation aux changements climatiques commence à émerger un peu partout dans l’enseignement supérieur.
  • Enfin, 2022 c’est aussi l’année de publication des travaux de recherche du Shift Project sur le rôle de l’enseignement supérieur intitulé « Former les acteurs de l’économie de demain ». En effet, l’enseignement de la gestion doit revoir sa feuille de route, c’est ce que pointe le rapport intermédiaire paru en mai 2022. Le rapport complet sera disponible en novembre 2022. Gageons que l’ensemble des structures de l’enseignement supérieur, et en particulier les structures de l’enseignement à la gestion d’entreprise, s’empareront des nombreuses recommandations de ce travail de recherche.

L’éducation à l’écologie, ou le changement de paradigme éducatif

Alors interrogeons-nous ? L’éducation aux enjeux climatiques sera-t-elle une énième discipline parmi d’autres ? Ne devrions-nous pas ANTICIPER (comme le nom de cette rubrique) et plutôt réinterroger en profondeur le sens de l’éducation ?

L’éducation doit-elle nous conduire à apprendre une diversité de disciplines applicables à notre monde actuel ? Ne doit-elle pas repenser enfin ses fondements pour nous apprendre à être et vivre avec le monde auquel nous allons devoir nous adapter de manière ultra-rapide ? Comme le souligne très bien Nathanaël Wallenhorst dans l’avant-propos du manifeste d’Harmut Rosa « Accélérons la résonance », l’éducation, je cite, « ne consisterait-elle pas plutôt à travailler à la transformation de nos sociétés pour qu’elles trouvent le chemin de leur pérennité ? En ce cas, la mission de l’école ne s’arrêterait plus à l’acquisition de savoirs et à la « capitalisation d’un portefeuille de compétences », selon l’expression économique désormais consacrée dans la pensée éducative. Il s’agit d’apprendre à aller au-delà (…). C’est là qu’émerge la finalité proprement politique de l’école, à laquelle l’Anthropocène nous conduit à réfléchir. »

Intégrer encore davantage à notre système éducatif les soft skills, la psychologie sociale, et l’ensemble des disciplines sociologiques qui nous permettront demain de continuité à « faire société » face à un monde en total bouleversement est un enjeu important des formations en gestion et management, tout autant que la sensibilisation aux changement climatiques.

La Fresque du Climat, le déclencheur pour un après dans l’enseignement supérieur

D’un simple témoignage sur la Fresque du Climat, nous sommes partis interroger la finalité de l’éducation et des écoles de gestion en particulier. En effet, rédiger un article pour évoquer la nécessité de former étudiants, enseignants et chercheurs aux enjeux climatiques avec l’appui de l’atelier de la Fresque du Climat dans la rubrique « anticiper » de Praxis aurait été bien trop limitant.

Que va-t-il se passer après ? Là est la question, ce qui va être intéressant maintenant, c’est de savoir ce que va déclencher cet atelier mené auprès des enseignants-chercheurs et des étudiants de GRH en cette rentrée 2022. Quelle sera la mobilisation pour organiser la grande Rentrée Climat de 2023 ?

J’ai été très émue d’animer une Fresque du Climat en cette rentrée du 2 septembre 2022. Certes, 20 ans avant, je rentrais moi aussi à l’IAE de Poitiers pour suivre le master MAE, mais surtout le 2 septembre 2002, Jacques Chirac prononçait son fameux discours au Sommet de la Terre à Johannesburg. La fameuse phrase « notre maison brûle et nous regardons ailleurs » raisonne dans ma tête. C’était une émotion forte d’animer une fresque auprès des étudiants en GRH ce jour-là, 20 ans après.

Ne perdons pas encore 20 ans à nous interroger sur la finalité éducative de l’enseignement supérieur et l’enjeu de sensibilisation au Climat. Accélérons la réflexion, les outils sont là et disponibles. Emparons-nous des fresques du Climat, de la biodiversité, Fresque de l’Emploi Durable, … et toutes les nombreuses déclinaisons pour sensibiliser et nous amener à requestionner nos contenus éducatifs ! Ensemble, continuons de passer à l’action, réduisons notre empreinte carbone dans notre quotidien et accompagnons la trans-FORMATION de l’enseignement supérieur !

Hélène Pasgrimaud
Consultante en stratégie et animatrice de la Fresque du Climat